11 novembre 2016, je termine une retraite bouddhiste dans le sud de la Thaïlande.
Deux événements qui encadrent et résument assez bien 12 mois pendant lesquels le voyage a particulièrement pris une dimension intérieure, spirituelle. Une année à challenger mes convictions, croyances ou absences de croyances, à traquer les incohérences entre ce que je pense / ce que je dis / ce que je fais, à réfléchir à ma place dans ce monde, à me faire bousculer, à tomber et me relever, à m'ouvrir à des choses qu'avant ce voyage j'aurai rejetées en bloc. Cette année a été éprouvante autant qu'époustouflante, j'en ressors plus épanouie, plus équilibrée, apaisée. Moins agressive et plus conciliante, je pense.
Novembre 2015 - Tibet
Un peuple écrasé, asphyxié par la Chine, mais qui garde la tête haute, continuant à pratiquer ses traditions millénaires. Et toujours ce sourire empli de compassion, cette attitude calme et paisible. Quel est leur secret ? Petit à petit la Chine grignote Lhasa, mais ne lui a pas encore pris son âme, cette énergie particulière qui laisse sans voix, les larmes aux yeux, avec l'envie de continuer à tourner autour du temple de Jokhang, au milieu des pèlerins, encore et encore... Jusqu'à quand ?
Décembre - Népal
Nous marchons au milieu de villages népalais rasés par le tremblement de terre, et tombons amoureux de ce pays, ses habitants, ses paysages.
Nous faisons la connaissance d'un jeune népalais grâce à Coachsurfing. Sa générosité et sa simplicité nous laissent sans voix. Depuis le tremblement de terre il vit dans des préfabriqués. Amis ou hôtes de passage, un tas de gens vont et viennent chez lui. Il tient à nous offrir les repas, est en train de collecter des fonds pour reconstruire l'école de son village d'origine, et donne des sous aux enfants du quartier qui font des bêtise pour qu'ils aillent plutôt s'acheter quelque chose à manger.
Un différent avec l'Inde prive le pays de pétrole depuis plusieurs semaines. Le gens se débrouillent comme ils peuvent pour cuisiner, font des heures de queue pour parfois récupérer quelques litres de carburant. On ne voit aucune expression d'appitoiement, ou de colère. Les gens sourient et patientent.
D'où tirent-ils cette sérénité, cette force de résilience ?
Fin décembre - Inde
Le choc indien. Saleté, pauvreté, bousculades, bruit... Des êtres humains traitant d'autres êtres humains comme des moins que rien. Et une société qui dans l'ensemble accepte ça. C'est révoltant, bouscule tous mes repères. J'évolue dans un monde que je ne comprends pas.
Au milieu de ce chaos, nous découvrons le yoga. Une révélation. Une activité dont les dimensions physiques et mentales me conviennent parfaitement, me défoulant, faisant du bien à mon corps, tout en équilibrant mon mental. Le yoga, pratiqué lors de cours ou par nous-même - sur un toit, une plage ou dans une chambre d'hôtel - nous accompagnera tout au long de cette année.
Je termine la lecture de "The Art of Happiness" (l'Art du Bonheur, de Howard C. Cutler et du 14e Dalai Lama), qui applique des préceptes bouddhistes exposés par le Dalaï Lama au monde occidental contemporain. Je commence à trouver des réponses aux questions que je me pose. Je lis ce livre 3 fois, lentement. Pour moi ce livre est un tournant, il y aura définitivement un "avant" et un "après".
Mars 2016 - fin de notre séjour indien
Nous réalisons une première retraite bouddhiste à Dharamsala, ville où resident le Dalaï Lama et le gouvernement tibétain en exil. Il s'agit de Bouddhisme tibétain. Je n'accroche pas trop aux aspects "superstition" et "magie", bref à ce qui pour moi représente le côté "religion", mais ces 10 jours en silence, coupés du monde, à essayer de vivre au présent, réfléchir aux émotions négatives (colère, jalousie, ressentiment...) me bouleversent. Je viens d'ouvrir une boîte contenant plein d'outil qui m'aident à mieux comprendre le monde et ce qui se passe en moi.
Vivre cette expérience au même moment mais chacun de notre côté nous rapproche, nous aide à mieux communiquer, et sera le point de départ de nombreuses conversations.
Avril - retour au Népal
Nous retrouvons avec un immense plaisir le Népal. 30 jours de marche me laissent le temps de penser aux enseignements de ces derniers mois. Nous nous faisons un ami à quatre pattes qui m'aide à réfléchir à la sagesse et à la compassion. Les animaux nous donnent parfois, sans le vouloir, de belles leçons.
Je deviens végétarienne. Cette transition s'est faite naturellement en Inde pour des raisons initialement sanitaires. Depuis, l'idée a fait son chemin, j'ai pris conscience de la compassion que j'éprouve naturellement pour les animaux, et il m'est maintenant inconcevable de tuer pour me nourrir. S'ajoute à cela des considérations environnementales. J'évite également de consommer des produits laitiers, mais continue pour le moment à manger des oeufs pour leurs apports en protéines (légumineuses et soja sont parfois difficiles à trouver dans les pays que nous traversons).
Juin - retour en Inde
Pendant trois semaines nous voyageons dans le Nord de l'Inde, essentiellement dans les villes sacrées de l'Hindouisme et du Bouddhisme. L'occasion de continuer à pratiquer la méditation dans des lieux particuliers, dégageant une forte énergie collective.
A la question "What is your religion ?" que l'on nous pose souvent, je réponds toujours de la même façon. Je suis née dans un pays de tradition catholique, mais je ne suis pas pratiquante. Je m'intéresse au Bouddhisme, mais en tant que philosophie, non comme religion. C'est néanmoins la religion dont je me sens la plus proche. Les messages véhiculés me parlent, m'aident au quotidien.
Je m'efforce de suivre les 5 préceptes du Bouddhisme, qui me semblent moralement pertinents :
- Ne pas détruire la vie des êtres sensibles ;
- Ne pas prendre ce qui ne lui appartient pas ou ce qui n'est pas donné ;
- Ne pas avoir des relations sexuelles illégitimes ou impudiques ;
- Ne pas dire des paroles fausses ou inexactes ;
- Ne pas prendre de substances altérant l'esprit (alcool, drogue...)
Le premier précepte implique une alimentation végétarienne, mais également par exemple de ne pas tuer d'insectes (je capture et relâche ceux qui me dérangent, comme les moustiques ou araignées). Le deuxième semble assez évident au premier abord, mais en creusant un peu, cela amène certaines réflexions et changements de comportement (par exemple si un grand magasin me fait payer moins que prévu, je le fais remarquer pour payer le prix exact). Le troisième me paraît facile et naturel. Le quatrième implique une grande honnêteté, ne pas mentir (plus de "petit arrangement avec la vérité", pas de : "désolé je n'ai pas de monnaie" en réponse à un mendiant, de "je n'ai pas eu le temps de t'appeler", de "oui oui ça va" si ça n'est pas le cas), ne pas "parler pour ne rien dire"... C'est le plus difficile à suivre je trouve ! Pour le cinquième, je ne le suis que partiellement, je bois encore parfois de l'alcool, mais "avec modération", sans excès.
Juillet - Birmanie
Ici certains moines bouddhistes ont un discours extrêmement violent envers une ethnie musulmane birmane. De nombreux moines mangent de la viande, ont des smartphones et font des selfies à longueur de journée. De quoi réfléchir aux capacités de l'Homme à interpréter de différentes façons les messages véhiculés par toutes les religions, y compris le Bouddhisme...
Août - Thaïlande
Nous redevenons sédentaires durant deux mois. Cette parenthèse suspendue nous laisse du temps pour réfléchir et débattre sur des questions d'environnement, de politique, consommation, travail, argent... Nos petits déjeuners durent fréquemment deux heures. Nous n'achetons presque plus de biens non alimentaires neufs, y préférons la récup, minimisons les emballages, réfléchissons à notre impact carbone... Nos réflexions sont enrichies par des lectures, reportages, notamment de nombreux TED talk (conférences initialement américaines, courtes et dynamiques, réalisées la plupart du temps par d'excellents orateurs, https://www.ted.com). Nous nous intéressons également beaucoup au végétarianisme, decouvrons la dissonance cognitive (résumée en 3 minutes ici), réfléchissons à l'équilibre de notre alimentation (beaucoup d'infos intéressantes ici), à l'impact d'une alimentation omnivore sur l'environnement (excellent reportage : Cowspiracy), à la communication végétariens-omnivores (blog sympa sur le sujet).
Nous pratiquons l'apnée, discipline dans laquelle le mental tient une place particulièrement importante, et qui s'inscrit bien dans notre dynamique actuelle. Nous continuons à pratiquer le yoga, j'essaie de méditer lors de mes sessions d'apnée statique. Je réfléchis à la façon dont je souhaite interragir avec mon environnement et décide de ne plus pratiquer de plongée bouteille, cela ne me correspond plus.
Nous prenons de nouveaux cours de massage, découvrant notamment les incroyables et difficiles à comprendre bienfaits de l'acupression. Nous avons également la chance d'être initiés au Reiki, une méthode de soins non conventionnelle d'origine japonaise, fondée sur des soins dits « énergétiques » par imposition des mains. Mon esprit cartésien est une fois de plus challengé par cette activité assez ésotérique. J'ai néanmoins de plus en plus de facilités à admettre que certaines choses s'expliquent difficilement avec les outils scientifiques dont nous disposons actuellement.
Novembre - Fin de notre séjour en Thaïlande
Je réalise une deuxième retraite bouddhiste, dans le sud du pays. Il s'agit cette fois de Bouddhisme Theravada, une branche différente du Bouddhisme tibétain. 10 jours en silence au milieu de la foret, passés essentiellement à méditer. Se lever à 4h du matin, dormir sur un lit en pierre avec un oreiller en bois, ne pas manger après midi. Les points centraux de cette retraite sont le "mindfulness" (pleine conscience) et la méditation "Anapanasati" (attention portée à la respiration). Mes méditations deviennent moins difficiles, ma concentration se précise.
L'approche de ce monastère est très scientifique, me convient bien. Il n'est absolument pas question de croire quoi que ce soit, mais de réfléchir, expérimenter et méditer. Pas de prière ni de superstitions, uniquement des méditations pour exercer son esprit. Après la retraite, je reste plusieurs jours au monastère pour reprendre progressivement contact avec le monde extérieur, et réfléchir aux riches leçons de ces 12 derniers mois.
Ainsi se conclue cette année "spirituelle".
On nous pose souvent la question : "Comment votre voyage vous a-t-il changé ?". Il est difficile de répondre à cette question en quelques mots. Ce post apporte peut-être quelques éléments de réponse. Si je devais néanmoins résumer cela en quelques mots, je dirai que le voyage m'a appris à m'interroger en permanence sur ma place et mon impact dans le monde (l'environnement dans lequel je vis et les humains/animaux que je côtoie), sur ce qui se passe dans ma tête et motive mes actions et paroles, tout en me donnant des outils pour avoir l'esprit plus calme, moins confus, être moins affectée par ce que les autres pensent de moi, par ce qui m'arrive.
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15 décembre - Manila, Philippines
Après de longues hésitations, nous avons décidé de commencer cette "dernière année de notre grand voyage" par les Philippines. Les eaux environnantes peuplées de pirates ne nous ont pas laissées le choix, et c'est - une fois n'est pas coutume - en avion que nous avons rejoins Manille.
Bruyante, encombrée de véhicules, polluée, envahie par les malls, cette ville ne nous emballe pas. Heureusement les Philippins sont très sympas, souriants, et parlent très bien anglais, ce qui facilite les échanges. Nous savourons nos retrouvailles après 6 semaines passée chacun de notre côté, nous ajustons à ce nouveau pays et préparons la suite du voyage, qui inclura du stop, du trekking et de l'apnée.
Nous nous apprêtons à passer Noël et le nouvel an dans les montagnes de Luzon.
Joyeuses fêtes de fin d'année à tous !
Marion