Un parmi les autres
Ces quatre derniers mois ont été éprouvants bien sûr sous certains aspects. A rebours de notre mode de vie nomade, où l'on choisit plus que l'on subit, nous avons cette fois du nous adapter à une réalité qui s'imposait à nous, réalité heureusement mouvante. Cette période m'a transformé, de manière évidente – sans doute plus que le voyage en lui-même. Voilà l'occasion de vous parler de l'une de nos premières compatriotes rencontrées au cours du voyage en 2014, c'était à Oulan-Bator début février. Voici comment elle se présentait elle-même (présentation légèrement ré-interprétée par mes soins). Ayant grandi et s'étant établie dans un « trou » (n'ayons pas peur des mots) comme on en trouve beaucoup dans le centre de la France, exerçant un métier sans aucune exaltation, elle était partie, son petit ami sous le bras (ça, c'est ma propre observation), faire un « voyage autour du monde » de 11 mois. Se désolant de la fermeture et d'une forme d'obscurantisme moderne qui l'environnaient, elle comptait sur ce voyage pour s'ouvrir l'esprit, s'ouvrir aux autres, accepter l'incertitude et l'inconfort (enfin, un peu – pardonnez ce second ajout personnel) et finalement, le plus important : pour mieux « se connaître ». Au cours du voyage, j'ai souvent repensé à cette jeune femme. Le voyage l'aura-t-elle d'avantage ouverte aux autres ? Se connaît-t-elle mieux désormais ? Et moi ?
L'évasion à la portée de tous ?
Se libérer de ses carcans est affreusement difficile. Oser entrouvrir un peu les portes de la prison mentale que l'on s'est construite est douloureux. Après l'avoir expérimenté, un voyage -- même « autour du monde », même de 11 mois ou plus -- n'est pas nécessairement le déclic que certains imaginent. Parfois oui, sans doute, mais nous ne sommes pas égaux face à cela. Une image peut-être : ce n'est pas en ouvrant en grand les fenêtres que l'on apprend un beau matin à respirer. L'arrivée d'air frais du dehors ne facilite que marginalement l'apprentissage long et ardu de la maîtrise de son diaphragme, de ses muscles intercostaux, de la flexibilité de son thorax, du lien qui unit l'esprit et le souffle. J'irais même plus loin : cet air frais peut donner l'illusion d'un début de meilleur fonctionnement, alors qu'au fond, nous sommes toujours aussi engoncés dans une forme de dysfonctionnement. Au cours de cette année, nous avons croisé beaucoup de voyageurs, qui étaient autant de miroirs de nous-mêmes, nous renvoyant à nos contradictions, à nos travers (à nos bons côtés également!). Il est en particulier toujours plus aisé de voir dans les autres plutôt qu'en soi-même la servitude -- celle exercée par les stéréotypes (à propos de soi et de son « destin », de nos proches, des inconnus), par l'optimisation (du temps, de l'argent, du confort), par nos propres objectifs (voir toutes les choses de la liste, profiter au maximum de ci et ça), par les maîtres de toute nature auxquels on accepte de se soumettre. Cette servitude nous est commune à tous. A nous de l'identifier, de la regarder en face et de la défier quand nous nous sentons prêts. Chaque jour est une occasion de le faire, en voyage ou à la maison, statique ou en mouvement. Pour ma part, je crois que ce n'est que vers la fin du voyage que j'ai commencé à m'en donner les moyens, ou plutôt que quelques digues ont cédé, sans que j'y sois pour grand chose.
Le bonheur est (aussi) dans le jardin
Ces derniers mois ont été l'occasion de renouer avec nos proches et la France. Plus je suis loin, et plus j'y pense, à la France – avec tendresse. Ce printemps, il y aura eu l'esthétique : le Nord-Pas-de-Calais inondé de Soleil, les champs de colza en fleur de la Beauce et de la Marne, l'éveil de la nature dans les Alpes, le bonheur de déambuler dans les rues de Paris aux premières douceurs d'avril. Il y a les sentiments : oui, je suis très attaché au pays où je suis né. Il y a les faits : on trouve dans ce pays dix fois ce qu'il est nécessaire à tout un chacun pour être heureux. Pourvu que l'on ait les conditions matérielles (un peu d'argent et de santé), « psychologiques » (que j'évoquais plus haut) et humaines (un entourage bienveillant), chacun (oui, chacun !) a franchement tout pour s'épanouir ici – le fameux droit constitutionnel des Américains à « poursuivre son bonheur » (comme s'il courait plus vite que nous...). Inutile je pense de faire la litanie connue de toutes des souffrances qui parcourent le monde, des grands déserts où rien ne pousse aux états policiers répressifs, des villes sous état d'urgence à la folie religieuse, pour souligner la douceur de vivre ici. C'est notre devoir de la préserver et de la partager, car elle n'est pas acquise pour toujours. Nous voici arrivés au temps où la folie du « toujours plus » en mine les fondements (voir notamment notre billet sur notre bilan carbone). Soyons vigilants et prenons acte !
Partir, encore !
Ce printemps passé ici a été magnifique. Grâce à notre famille et à nos amis, c'est la mémoire pleine de beaux souvenirs que nous allons repartir. Après avoir fait l'éloge de notre petit coin de paradis coincé entre Brest, Strasbourg, Dunkerque et Cerbère, je voudrais écrire ma joie à l'idée de goûter à nouveau l'ivresse de mettre le sac sur le dos et de « me barrer », les yeux rivés sur l'horizon, les cheveux dans le vent. De voir dans le ciel de chaque matin la promesse de la nouveauté et de l'étonnement. De m'extasier, jour après jour, d'avoir pu trouver un tel compagnon de route avec qui je feuillette, main dans la main, les plus belles pages de l'atlas du monde.