Voilà un post des plus importants pour nous. Nous vous présentons notre bilan carbone de l'année 2014. Le réaliser a été très riche d'enseignements pour moi. Permettez-moi de poser quelques questions auxquelles ce bilan apporte des éléments de réponse :
Groupe 1 :
- Quels sont les postes significatifs d'émission de gaz à effet de serre de notre mode de vie nomade ? Est-ce bien les transports (et l'affreux transport aérien) comme on imagine ?
- Comment décarboner notre mode de vie ?
Groupe 2 :
- Vous qui voyagez à longueur d'année, vous devez « polluer » comme des dingues (voir ci-dessous le paragraphe sur le terme de "pollution"). Sous-entendu par rapport à un habitant sédentaire de la France, ou encore par rapport à un couple de trentenaires bac+5 à revenus relativement confortables et sans enfant (nous dans un monde parallèle vous l'aurez compris). Que répondre à ça ?
En fin de post, je compare nos émissions à celles de quelques pays.
Quelques petits mots d'introduction :
- Pourquoi s'intéresser à cette question ? Pour faire court, c'est LA question du XXIème siècle, celle autour de laquelle toutes les autres problématiques géopolitiques, économiques, sociales viendront graviter.
- Pourquoi bilan « carbone » et pas bilan de « gaz à effet de serre » ? Parce que le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4) (composés donc de carbone) représentent 90% de la contribution des hommes (« anthropique ») à l'augmentation de l'effet de serre (1). Le reste provient essentiellement de l'oxyde d'azote (N2O), émis principalement par le secteur agricole. Alors, pour faire court, quand il y a émission de N2O et de CH4, il suffit de convertir (en fonction du potentiel de réchauffement de ces gaz bien sûr) leur contribution en équivalent CO2.
- Un point fondamental (et un peu frustrant) de ces questions est qu'il est impossible de sortir des valeurs précises. On ne peut obtenir que des ordres de grandeur : à 20, 30, parfois 50% près.
- Le CO2, c'est un polluant ? Revenons à la définition (source Larousse) : un polluant est une susbtance qui pollue. Bon. Polluer, c'est "dégrader l'air, un lieu, quelque chose, les rendre malsains, dangereux en y répandant des matières toxiques". On avance un peu. Le CO2, c'est toxique ? Non, le CO2 en lui-même bien sûr n'est pas nocif pour l'homme. C'est même le produit de la respiration. Ce sont ces propriétés d'interaction avec le rayonnement terrestre qui sont en cause.
La méthode :
- J'ai attaqué notre bilan comme il est traditionnellement réalisé, poste par poste, en passant en revue toutes nos activités potentiellement émettrices (c'est-à-dire à peu près toutes nos activités!).
- Certains utilisent « l'équivalent carbone », d'autres « l'équivalent CO2 ». J'ai opté pour le second (un simple ratio de 3,67 permet de passer de l'un à l'autre, c'est de la stœchiométrie !). Attention donc en lisant les valeurs de notre bilan ! Il s'agit d'EQUIVALENT CO2 par personne !
Le détail :
- Transports :
- Avion
- Avion
Sans surprise, ce premier poste « casse la baraque ». Nous pourrons plus loin le comparer aux autres postes, avec 19 kgCO2/100km/personne.
- Transport routier
Au final, nous obtenons un ordre de grandeur moyen de 4,9 kgCO2/100km/personne (soit l'équivalent de l'émission d'une voiture standard en France occupée par 3 à 4 personnes). Cette valeur cache cependant de grandes disparités. Nos trois principales émissions (en valeur) ont été :
- (650 kg CO2 chacun) Nos deux locations de voiture en Argentine et au Chili (moyenne 7,3) avec une occupation moyenne de 2,4 personnes.
- (442 kg CO2 chacun) Nos centaines d'heures passées dans des bus en état fort variable sur des routes parfois parfaites parfois carrément défoncées, parfois à plus de 4000 mètres (moyenne 2,9)
- (178 kg CO2 chacun) Les milliers de kilomètres bringuebalés dans des minibus franchement pourris en Mongolie, au Laos et au Pérou, mais heureusement bondés (ça fait baisser la moyenne d'émission par personne : 5,5!)
- Transport ferroviaire
Je souligne le fait qu'il s'agit d'ordre de grandeur. En effet, nos calculs sont par la force des choses très imprécis. L'incertitude règne à tous les étages :
- remplissage des trains (on a opté pour 250 personnes, une moyenne franchement à la louche entre le transsibérien assez peu rempli et les trains mongols et Chinois bondés),
- la vitesse moyenne (estimée à 70 km/h (!), autour de 50 km/h en Russie, plutôt 120 en Chine et au Vietnam).
Résultat des courses : on tombe sur une valeur de 11 kg CO2/100km/personne. Quelques commentaires s'imposent :
- Les locomotives au diesel, c'est l'enfer climatique ! Rapporté au kilomètre, le CO2 émis est (ordre de grandeur!!) autour de la moitié du CO2 émis par un avion de ligne. Oops ! Et plus qu'une voiture un peu vieille avec deux personnes à bord.
- Cette valeur peut être comparée à celle obtenue par des professionnels du sujet dans divers pays d'Europe (3):
- 11,4 kgCO2/100km/pers en Pologne, qui utilise le même genre de locomotives mais aussi des locos électriques. L'électricité utilisée par les chemins de fer Polonais étant produite à 94% par des usines à charbon (!!) – voir (3) – ça n'arrange rien. Pour info, le charbon est considéré 25% plus émissif que le pétrole.
- 6 kgCO2/100km/pers en Allemagne : trains électriques, mais en Allemagne l'électricité est produite pour moitié à partir de... charbon (46% du mix) ! Ca colle.
- 0,9 kgCO2/100km/pers en France : vive le TGV et vive le nucléaire (85% du mix électrique Français) !
- 11,4 kgCO2/100km/pers en Pologne, qui utilise le même genre de locomotives mais aussi des locos électriques. L'électricité utilisée par les chemins de fer Polonais étant produite à 94% par des usines à charbon (!!) – voir (3) – ça n'arrange rien. Pour info, le charbon est considéré 25% plus émissif que le pétrole.
- Ferry
- Petit bateau
Valeur moyenne : 3,3 kgCO2/100km/pers. Descendre le courant, ça aide !
- Vélo
- Camion stop et voiture stop
TOTAL TRANSPORT :
Pour 77 000km parcourus (ah oui quand même!), on arrive à 8,1 tonnes de CO2, soit une moyenne de 10,6 kgCO2/100km/pers . Outch ! C'est plus que si nous avions fait tous ces trajets en voiture à deux dedans!
Notre unique trajet en avion (demi-circonférence de la Terre : Vietnam-Equateur, 20000km) nous plombe largement dans ce total. A lui seul, il pèse 45% de nos émissions « transport » sur l'année.
- Logement
J'ai partagé notre mode de vie en trois phases fort différentes d'un point de vue énergétique :
- janvier/février : températures Sibériennes et chauffage ou bien électrique (et donc charbon/pétrole/gaz) ou bien directement au charbon. Le chauffage est alors poussé à fond, jour et nuit et ça consomme !
- Reste de l'année, hébergement en dur : pas de chauffage, mais utilisation de la lumière, des plaques pour faire la cuisine, de chargeurs pour nos batteries (téléphone portable, appareil photo), régulièrement d'un ordinateur pour envoyer des nouvelles ou des photos, parfois (rarement) d'un système de chauffage de l'eau pour se laver. Electroménager utilisé exceptionnellement (quelques machines à laver le linge dans l'année). J'ai ajouté ici l'électroménager utilisé dans les restaurants pour nous faire à manger !
- Reste de l'année, en tente. Là, c'est zéro ! (j'ai pris en compte l'esssence du réchaud dans le poste alimentation)
Le total est délicat à interpréter. Nos deux mois dans le grand froid dominent très largement le bilan, avec 20 kgCO2/jour chacun, soit l'équivalent de 250 kilomètres parcourus en voiture ! Pour le reste de l'année, on tombe à environ 1,3 kgCO2/jour.
C'est sur ce poste néanmoins que nous faisons une vraie différence avec les sédentaires Européens (Allemands, Britanniques etc.), qui ont besoin de chauffage 6 mois par an, utilisent leur électroménager quotidiennement. Notons que les Finlandais, Français et quelques autres s'en sortent grâce au nucléaire et autres énergies non carbonnées.
- Alimentation
J'ai divisé en deux catégories notre année : « en ville » (cuisine dans auberges de jeunesse ou le plus souvent restaurants pas cher locaux) et « dans la nature » (nourriture dans le sac à dos, cuisinée par nos soins sur le réchaud). Pour plus d'informations, je vous invite à regarder l'onglet « détails du calcul ».
Avec autour de 1 kgCO2/jour, on arrive au fait intéressant que l'émission de carbone de notre alimentation en ville est équivalente à celle de notre consommation électrique !
- Matériel : achat et acheminement
- Gestion des déchets
J'ai ajouté ce poste, bien que malheureusement nos déchets ont bien souvent fini dans des décharges à ciel ouvert !
GRAND TOTAL :
10 tonnes de CO2 chacun, dont (je ne garde que les postes principaux):
- 3,6t pour notre unique trajet en avion (de 20000km je rappelle quand même!)
- 2,5t pour nos trajets en train
- 1,5t pour nos trajets en transport routier
- 1,4t pour notre chauffage en hiver
- 0,3t pour notre alimentation
- 10 tonnes, ça fait combien ?
- 6 Aller-retours en classe éco Paris-NewYork
- 27 ans de consommation électrique d'un Français (merci le nucléaire !) mais seulement
- 5 ans de consommation électrique d'un Anglais
- Et si on se comparait aux autres ? (données 2007 ; source (6))
- Un Américain : 19t
- Un Allemand ou un Japonais : 10t (← nous sommes ici!)
- Un Britannique : 8,5t
- Un Français ou un Suisse : 6t (← sans notre trajet en avion, nous serions ici!)
- Un Chinois : 4,3t
- Un Vietnamien : 1,4t
- Un Bengali : 0,3t
- Question plus ardue : Comment se comparer à notre famille, nos amis ? Comment se comparer à notre double imaginaire resté en France ?
Qui est ce double ? Je l'imagine habitant en ville, mais ayant une voiture et l'utilisant relativement régulièrement (week-ends, sorties birdwatching, en forêt, à la mer etc.). Sa famille et ses amis sont disséminés dans la France entière (comment comptabiliser le covoiturage ? La SNCF reverra-t-elle ses prix aberrants à la baisse?). Il mange bio et de saison (oui, notre double s'y emploie!). Son péché mignon : partir en vacances (par quel moyen de transport quand on ne dispose que d'un mois maximum?). Bref, j'imagine mon double comme au-dessus de la moyenne nationale question carbone, à condition que l'avion soit exceptionnel.
Et un hivernant en Terre Adélie ? Petits calculs à la louche : rien que pour le fonctionnement de la base à 26 en hiver, l'ordre d'idée est de 2t CO2/personne par mois d'hiver. Outch ! Durant l'été, l'Astrolabe, l'hélicoptère etc. viennent contribuer au total.
Voyons loin !
Il est généralement admis qu'un objectif raisonnable est de diviser par deux les émissions mondiales de carbone de 1990. A 6,7 milliards d'habitants, nous devons donc viser, chacun, 1,6t/an . Il ne vous aura pas échappé que nous sommes, Marion et moi, 6 fois au-dessus de cet objectif qui est l'émission actuelle moyenne d'un Africain ou encore d'un Vietnamien.
S'améliorer
Mais que faire Henrik ? Comment réduire par 7 nos émissions ? Clairement, nos transports dominent. Quelques pistes :
- Bouger 7 fois moins ? C'est clairement une possibilité. Plus nous voyageons et moins vite nous bougeons. Avec le temps, nous avons appris à réduire la vitesse : rester et profiter d'un lieu plutôt que zapper. En 2014 (hors avion), nous avons parcouru environ 60000km, soit 5000km par mois. C'est énorme ! Je pense que notre prochain voyage sera encore plus lent.
- Bouger différemment ?
- Nous avons déjà réservé l'avion, dans les limites du raisonnable (le diable est dans la définition du raisonnable !), à la traversée d'océans (faute d'avoir essayé le bateau stop, faute de pouvoir se payer un cargo à 3000 euros le passage) ou pour rejoindre des îles où (à cause des prix de l'avion!!) aucun bateau un peu régulier/pas hors de prix ne va.
- Nous sommes résolus à étendre notre pratique du stop. Le stop est un concentré du voyage : c'est incertain, c'est inconfortable, mais les rencontres sont toujours étonnantes.
- Nous avons déjà réservé l'avion, dans les limites du raisonnable (le diable est dans la définition du raisonnable !), à la traversée d'océans (faute d'avoir essayé le bateau stop, faute de pouvoir se payer un cargo à 3000 euros le passage) ou pour rejoindre des îles où (à cause des prix de l'avion!!) aucun bateau un peu régulier/pas hors de prix ne va.
- Vivre dans les pays chauds. Et oui, quand on n'a pas à se chauffer, là où tout pousse, la consommation d'énergie est faible. Là, nous sommes prêts !:-)
- Vivre dans des pays où l'électricité est produite par énergies non carbonnées : nucléaire, hydraulique, biomasse. Welcome to Finland, France, Costa Rica !
- Militer ardemment pour le développement de modes de transports alternatifs. Clairement, la tarification de l'avion est une des causes majeures de l’appauvrissement de l'offre : comment une compagnie de bateau peut fonctionner si à tarif équivalent, l'avion met 15 fois mois de temps ?
- Militer ardemment en faveur de l'abandon du charbon pour la production électrique. L'un des points majeurs de la COP21. Le charbon, on fait pas pire. Utiliser le gaz, c'est pas terrible non plus, mais c'est 25% de CO2 en moins par kWh produit.
En faisant "clic droit" sur l'image ci-dessus, vous pourrez télécharger le fichier .xls complet !
Le mot de la fin
J'espère que ce bilan vous a permis d'y voir un peu plus clair sur le sujet, et d'avoir quelques ordres de grandeur à propos de notre voyage. Je serai heureux de lire vos remarques ou questions et échanger avec vous !
Jb
(1) http://www.manicore.com/documentation/serre/gaz.html
(2) http://www.myclimate.org/fileadmin/myc/files_myc_perf/12_flight_calculator_documentation_EN.pdf
(3)http://ecopassenger.hafas.de/hafas-res/download/Ecopassenger_Methodology_Report.pdf
(4)https://ig-tools.com/files/2014_Conversion_Factors.pdf
(5)http://www.manicore.com/documentation/serre/jancovici.html
(6)http://www.manicore.com/documentation/serre/GES.html
#CO2 #changement_climatique #COP21 #Jean-Marc #rebelle_de_la_banquise :-p